IA : pourquoi les femmes se forment moins et en quoi cela freine leur carrière ?

L'intelligence artificielle s'immisce progressivement dans l'ensemble des secteurs d'activité et transforme déjà notre manière de travailler. Elle permet d'améliorer la performance et la productivité des entreprises et constitue une source de développement professionnel pour tous ceux qui savent tirer parti de son plein potentiel.
Cependant, on constate que la plupart des acteurs qui maîtrisent ces outils sont majoritairement des hommes. Une situation qui soulève des inquiétudes quant à la diversité et à l'inclusion dans le domaine de l'IA. Comment expliquer ce phénomène et surtout, quelles mesures peuvent être prises pour garantir que l'IA ne laisse pas de côté la moitié de la société et n'entrave pas leur évolution professionnelle ?
Les femmes et l'IA, une sous-représentation préoccupante
De nombreuses études mettent déjà en lumière le manque de représentation des femmes dans le secteur de l'IA : elles seraient seulement 22% à exercer un métier en lien avec cette technologie selon le Forum économique mondial, ce qui n'est guère surprenant quand on sait qu'elles restent largement minoritaires dans les filières scientifiques et informatiques.
Cette tendance persiste même lorsque l'utilisation de l'IA n'est pas au cœur des métiers des professionnels. Ainsi, une étude de Charter d'octobre 2023 révèle que 48% des hommes interrogés utilisent l'IA pour accomplir certaines tâches contre 35% de femmes. En janvier 2024, une enquête de l'IFOP publiée à la demande de Learnthings sur les rapports des salariés Français à l'intelligence artificielle, indique que 29% des hommes ont déjà eu recours à l'IA, contre seulement 16% des femmes. L'étude souligne également que 71 % des femmes n'ont pas encore bénéficié d'une formation à l'utilisation des outils liés à l'IA dans un contexte professionnel et ne souhaitent pas en recevoir, contrairement à 54 % des hommes.
Bien que le recours à l'IA puisse dépendre des secteurs et des besoins spécifiques, ces écarts de genre sont trop significatifs pour négliger l'importance d'actions visant à promouvoir une participation plus équilibrée des femmes dans un domaine offrant de nombreuses perspectives de carrière.
Cette nécessité est d'autant plus pressante que selon une étude de Goldman Sachs, les femmes sont les premières à occuper des emplois exposés à l'automatisation par les IA, avec une proportion de 6 femmes sur 10 contre 8 hommes sur 10. Des domaines traditionnellement privilégiés par les femmes telles que le secrétariat, la comptabilité, la santé ou encore la traduction risquent en effet de connaître des changements majeurs à mesure que ces technologies progressent.
Pourquoi les femmes se forment moins à l'IA : les raisons derrière cette disparité
Il est d'abord important de noter qu'une certaine défiance vis-à-vis de l'IA est partagée par les deux sexes. Le double discours concernant les avancées rapides de l'intelligence artificielle n'y est sans doute pas pour rien.
D'un côté, on peut entendre que l'IA sera en mesure de résoudre (presque) tous les problèmes du monde, tandis que de l'autre, on la perçoit comme l'une des plus grandes menaces pour notre planète, risquant notamment de détruire la plupart de nos emplois. Et quand bien même notre emploi ne serait pas remplacé par une machine, celui-ci perdrait grandement de son intérêt.
Comme souvent, la réalité est sans doute beaucoup plus nuancée, mais cela ne dit toujours pas pourquoi les femmes se forment moins à l'IA et l'intègre peu dans leurs pratiques professionnelles. On a identifié quelques pistes d'explication ! Et comme nous allons le voir, l'effet boule de neige peut jouer un rôle significatif dans ce phénomène.
L'intériorisation des stéréotypes de genre dans le choix des parcours de formation
L'intériorisation de préjugés sexistes, tels que l'idée reçue voulant que les femmes soient plus compétentes dans les domaines littéraires, artistiques, que scientifiques, contribue forcément à cette sous-représentation des femmes dans les métiers de l'IA. La famille et l'entourage participent souvent à perpétuer ces préjugés en les encourageant, inconsciemment ou non, à suivre des voies traditionnellement associées à leur genre.
Cette intériorisation des stéréotypes peut débuter dès le plus jeune âge et persiste généralement tout au long du cursus scolaire. Une étude réalisée sur des collégiens a mis en évidence ce phénomène : en présentant aux élèves un exercice comme un test de géométrie, les garçons réussissaient davantage que les filles. En revanche, lorsque le même exercice était présenté comme un test de dessin, les filles reprenaient l'avantage.
La simple mention du terme géométrie a donc suffit à leur faire perdre leurs moyens jusqu'à altérer leurs performances ! Il est courant que ce complexe d'infériorité s'entretienne avec l'âge et vienne freiner les ambitions des femmes dans des secteurs tels que l'IA où la présence masculine est plus marquée.
Le manque de diversité dans le monde professionnel
Les inégalités de genre en entreprise ne sont que le reflet de ces mêmes inégalités observées dans les parcours de formation. L'issue inévitable de cette intériorisation des stéréotypes se traduit par une absence de diversité dans les domaines les plus techniques. Il est toujours plus compliqué de se projeter dans un environnement de travail où les personnes qui nous ressemblent sont en minorité. La tendance est d'autant plus difficile à inverser que l'absence de modèles de réussite contribue à accentuer les réticences des femmes à intégrer des formations qui pourraient pourtant les conduire vers des carrières enrichissantes.
Les biais sexistes de l'IA
Cette sous-représentation des femmes dans l'IA entraîne une autre conséquence préjudiciable. L'IA étant majoritairement entraînée par des hommes blancs, elle est souvent pointée du doigt pour sa tendance à reproduire des biais sexistes et racistes. Bien que l'intelligence artificielle ne crée pas de stéréotypes, elle peut cependant contribuer à les diffuser dans l'ensemble de la société, alimentant et renforçant ainsi les inégalités existantes.
Des dizaines d'exemples de flagrants délits de sexisme ont déjà été constatés et relayés dans les médias. Un cas de figure courant est lorsque l'on demande à un générateur d'images comme Mindjourney de représenter un CEO, celui-ci aura tendance à faire apparaitre un homme dans l'immense majorité des cas , tandis que la requête "secrétaire" ou "infirmier" mettra en avant une femme, souvent avec des traits caricaturaux.
Ces biais sexistes sont donc particulièrement préoccupants quand on sait à quel point nous dépendons de plus en plus des algorithmes pour prendre des décisions éclairées et qu'ils peuvent donc avoir des incidences directes dans le monde réel.
De nombreux cas de système de reconnaissance faciale discriminant les personnes, et en particulier, les femmes racisées ont été documentés. En août 2023, une femme noire américaine a par exemple été accusée d'un vol qu'elle n'avait pas commis à cause de ces biais algorithmiques.
Une autre affaire qui a fait grand bruit en 2018 concerne l'ancien logiciel de recrutement d'Amazon qui avait tendance à écarter les CV des femmes pour favoriser les hommes, jugés plus compétents pour les postes à pourvoir. Ainsi, tout laisse à croire que si les femmes se forment moins à l'IA, c'est aussi parce que les IA sont moins formées par les femmes !
On pourrait ajouter à ces raisons, le fait qu'il peut être compliqué de voir l'IA comme un progrès vers une société plus égalitaire lorsqu'elle est utilisée pour harceler les femmes, notamment à travers des applications permettant de les déshabiller (ou de les rhabiller) à sa guise, sans leur consentement.
La formation, la solution pour favoriser l'inclusion ?
En tordant le cou aux idées reçues et en sensibilisant le public à l'intelligence artificielle dès l'école primaire, il est probable qu'on assite progressivement à une réduction du fossé entre les genres dans le secteur de l'IA. Ces formations sont souvent une occasion de provoquer un déclic en révélant des champs d'application et des opportunités professionnelles jusqu'alors méconnus. Les entreprises ont également un rôle à jouer pour participer à la montée en compétences de leurs salariées en proposant des programmes de formation adaptés.
Initiation au machine learning, prise en main à ChatGPT, obtention d'un diplôme de master spécialisé en intelligence artificielle... Les formations en IA peuvent adopter des formats variés, allant de quelques jours à plusieurs mois, voire années, selon les aspirations de chacun. Qu'il s'agisse d'intégrer ces outils pour améliorer sa productivité au travail ou de se reconvertir vers un métier d'avenir, le champ des possibles risque clairement de s'élargir au rythme des avancées technologiques.
En se formant à l'IA, les femmes ont donc la possibilité de changer le système de l'intérieur afin de favoriser une représentation plus équilibrée, tout en saisissant des opportunités de carrière qui contribueront à leur propre épanouissement personnel.
Des initiatives pour réduire l'écart entre les sexes dans le domaine de l'IA
Plusieurs actions sont mises en place pour lever les obstacles qui pourraient empêcher les femmes de voir l'IA comme un outil de travail pertinent ou même d'envisager une reconversion dans ce secteur porteur. À travers son Pacte pour une intelligence artificielle égalitaire, le Laboratoire de l'Egalité propose des mesures concrètes pour lutter contre les effets discriminants de l'IA. Il est notamment question de former et sensibiliser les professionnels du secteur impliqués à chaque étape de la production de ces outils.
Fondée en 2005, l'association Elles bougent œuvre aussi dans ce sens en encourageant les jeunes femmes à s'orienter vers des filières scientifiques et techniques. Plus récemment, en 2023, l'UNESCO a lancé le Réseau des femmes pour une IA éthique, une plateforme collaborative visant à assurer une plus forte inclusion dans ce domaine qui doit relever encore de nombreux défis pour parvenir à une véritable équité.
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